Quelle magie entoure une carnettiste qui partage ? Quelle volonté anime la dessinatrice qui s’arrête, en bord de chemin ou au milieu d’un village pour peindre ce qu’elle voit et ressent, des minutes ou des heures durant ? Animé de ces vivantes interrogations, Florian est allé à la rencontre de l’explor’actrice Marie Bobin lors du Festival du Voyage Engagé…

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis carnettiste, c’est-à-dire que je fais des carnets de voyage. Et je fais des concerts dessinés. Donc, j’en ai fait un pour l’ouverture du festival Quais du départ, et un le 9 avril pour On The Green Road. Là, je tiens un stand pour présenter mes carnets de voyage originaux que j’ai faits notamment en Afrique. J’expose trois carnets du Maroc, et puis mon carnet du Sénégal que je viens de rapporter, puisque je suis arrivé la semaine dernière.

Qu’est-ce que ça veut dire être carnettiste ?

Emporter un carnet dans lequel on écrit et on dessine. On peut y mettre des photos, des images. En fait, c’est un journal de bord, mais complètement spontané, que tu fais sur place. Ce n’est pas un projet hyper chiadé que tu réfléchis et que tu vas travailler en atelier. C’est du vécu.

Et ça fait longtemps que tu fais ça ?

J’ai un peu toujours fait des carnets, mais sans savoir que ça s’appelait « Carnet de voyage ». Quand j’étais petite, j’allais me balader en montagne avec mes parents : eux ramassaient des myrtilles, et moi je dessinais pendant ce temps.

Oui… je mangeais des myrtilles aussi ! [Rire]

Sans tacher tes carnets ?

Si, des fois ! Mais justement, dans les carnets de voyage, tu prends tout ce qui passe. C’est-à-dire que si tu as une tache de myrtille sur ton carnet, tu vas l’arranger ; et pourquoi pas lui donner une forme de myrtille.

Tu es dans l’acceptation…

Tu acceptes le hasard, les erreurs.

Le voyage nous enseigne la philosophie du « lâcher prise » et du « faire avec ».

Oui c’est vrai, tu es beaucoup plus ouvert à tout ce qui peut arriver du coup.

On sent que ces carnets ont du vécu…

Oui, ils se délitent complètement… je suis en train de les réparer. Parce qu’ils ont été dans la brousse en Casamance. Ils voyagent avec moi, les gens que je rencontre les manipulent. Donc c’est normal !

En même temps ça leur donne de la vie à tes carnets !

Ouais, moi j’aime bien.

Ce sont des carnets en trois dimensions…

Oui, je colle des pièces de monnaie, des photos, des choses que j’ai trouvées par terre, des bouts de tissus…

Quel est le voyage qui a changé ta vie ?

… qui m’a vraiment marquée ? Sans doute le tout premier que j’ai fait. Parce que voilà, c’était mon tout premier grand voyage et j’avais 17 ans. Je suis partie en Arizona à Monument Valley. Après j’ai toujours conservé ce goût de partir ailleurs et les carnets de voyage, ça me permet de ramener des souvenirs hyper personnels.

Le livre que tu montres s’appelle : « Tracer la Route »

C’est un livre que j’ai écrit avec mon mari qui est chanteur et musicien et qui fait des concerts dessinés avec moi. Donc, c’est un livre CD. Il y a toutes les chansons du spectacle, les textes des chansons et puis plein de carnets de voyage. La Scandinavie, la Corse, l’Italie… On raconte dix ans de voyages en famille et en camion aménagé.

 

Le carnet de voyage trouve-t-il sa place dans les librairies aujourd’hui ?

En librairie, on trouve plutôt des récits de voyages ou des livres de conseils aux voyageurs, mais pas vraiment des reportages. L’édition pour les carnets de voyage, ce n’est pas si simple. C’est quelque chose qui est un peu crado, qui a vécu, et quand tu veux en faire un livre vraiment joli, ce n’est déjà plus un carnet de voyage. Donc c’est un support qui ne rentre pas dans les cases. En cherchant à le reproduire, tu perds la matière, la texture, l’aquarelle ne ressort pas à l’impression… donc ce n’est pas évident !

Donc, quand on veut rencontrer des carnettistes, comment fait-on ?

Les salons de carnets de voyage par exemple. Il y en a un à Clermont qui est hyper connu. Une centaine d’exposants, sélectionnés, te montrent leurs carnets de voyage originaux, tu peux discuter avec les auteurs, c’est génial.

Qu’emportes-tu avec toi pour partir sur une île déserte ?

Déjà, j’adorerai ça partir sur une île déserte, mais je ne sais pas si ça existe vraiment. Je partirai forcément avec mon carnet, mon crayon et ma petite boîte d’aquarelle.

Donc pas besoin de grand-chose pour partir !

Regarde : ma petite boîte d’aquarelle, elle fait 4x3cm et elle tient dans ma poche. J’ai huit petites couleurs, un crayon, une gomme, un fusain, et un pinceau avec un réservoir d’eau. Voilà. Comme ça je peux dessiner où je veux. Ça me suffit, avec ça je suis bien occupée. Franchement, je n’emmènerai rien d’autre… si un stylo pour écrire.

Comment mêles-tu l’art du carnet à l’art du voyage ? Cela doit te prendre du temps ?

Je ne suis pas du tout du genre à voyager en bus. Devoir demander au chauffeur de s’arrêter, prendre une photo et repartir, ça ne m’intéresse pas, quoi ! En général, je suis sac au dos et je m’arrête quand je veux. C’est ça le voyage pour moi. Je ne dissocie pas l’art du carnet de l’art du voyage. Je peux m’arrêter deux heures devant une fleur si elle me plaît et que j’ai envie de la dessiner, tu vois.

Tu aimes la nature, tu es une contemplative ?

C’est un peu ça… mais pas que. C’est aussi les gens. Au Sénégal, je me posais dans la rue du village et d’un coup, il y avait une trentaine d’enfants qui apparaissaient, ça discutait, ils s’asseyaient, ils avaient envie d’essayer l’aquarelle alors on faisait des trucs ensemble. C’est ça en fait : c’est la rencontre que ça induit. Le fait de s’arrêter, d’être disponible, de ne pas juste prendre sa photo et repartir. Les gens viennent te voir, discutent, t’invitent chez eux, t’apprends à les connaître… c’est une autre démarche. C’est une démarche beaucoup plus lente. Contemplative, mais surtout fondée sur la rencontre.

Le voyage c’est accepter l’inconnu qui vient à soi ?

Oui, j’aime bien l’idée du carnet partagé. C’est mon carnet et je vais le ramener chez moi, mais si quelqu’un a envie d’essayer de dessiner, je lui prête mes pinceaux, je lui prête mon aquarelle, il va faire un truc dans mon carnet. Tu vois, dans mon carnet du Sénégal, il y a un gamin qui m’a collé une grenouille séchée, il m’a dit que ça s’appelait «toto » en Mandingue. Il y a des gens qui ont voulu se faire dessiner, donc ils se sont posés devant moi et m’ont demandé : « est-ce que tu peux me dessiner ? » Là, j’ai rencontré un pêcheur qui était en train de repeindre son bateau, donc il m’a mis un petit coup de pinceau avec sa peinture ; peinture pour bateau… donc qui a mis une journée entière pour sécher ! On a été chez un tailleur qui m’a filé un petit bout de tissu parce qu’il était en train de fabriquer des costumes pour un festival. Il a accepté de continuer de travailler devant nous et j’ai pu le dessiner. Là, c’est un gamin qui a dessiné ma palette d’aquarelle, et là c’est une petite, elle avait peut-être deux ou trois ans, mais elle avait très envie d’essayer mes pinceaux, alors je lui prête mon carnet et puis voilà… chacun met sa patte. Ça fait des histoires, c’est ça que j’aime bien. Et puis je peux l’utiliser dans toutes les conditions, parce que tu vois là, on était invité à l’école coranique ; en fait les gamins, le soir, font un grand feu et ils sont tous en rond, et ils récitent des versets du Coran. C’est un moment qui n’est pas trop montré aux Européens d’habitude, mais là comme on s’était rencontré dans la rue avant, ils m’avaient dit : « Bah, vient ce soir, tu pourras dessiner. » Et c’était absolument magique quoi ! Au début ils récitent des versets du Coran, puis après ils se mettent à chanter tous ensemble. C’est un truc complètement fou autour du feu. Donc, je n’y voyais strictement rien, je dessinais à l’aveuglette, je ne voyais pas les couleurs de ma palette d’aquarelle, mais comme je la connais à peu près…

Donc ce qu’on voit sur ton carnet, c’est du vrai, il n’y a pas de retouche ?

Absolument. Alors tu vois, il y a des choses un peu crado parce que je n’y voyais rien, c’était la nuit, et en même temps, il y a une espèce d’ambiance… Il y a l’imam qui est venu m’écrire un petit mot en arabe. C’est vraiment plein de souvenirs. Là, j’ai croisé un marabout qui m’a aussi écrit quelques petits trucs. Je ne sais pas trop ce que ça veut dire, c’est peut-être mon avenir ! Là, c’est un gamin qui voulait me dessiner, moi, donc ça, ça me représente. [Rire !] Il était sourd et muet et en fait on communiquait par gestes. On a adoré ce moment. Là, il y avait une petite dans la rue qui n’arrivait pas à faire ses devoirs de maths, donc on l’a aidée. Et pendant ce temps, il y avait son père qui était là à côté et qui m’a demandé si je pouvais le dessiner, donc il a posé et j’ai dessiné le père pendant que la fille étudiait. Pour chaque dessin je me rappelle d’une histoire. Je me rappelle du poste de police à la frontière de la Gambie et du Sénégal, où « POLICE » était marquée au pinceau, le drapeau était dessiné sur le bâtiment, directement, et puis il y avait des femmes juste à côté qui étaient par terre et qui vendaient leurs oranges, un petit chat qui passait et des chèvres… Alors c’est marrant, parce que je suis passée par la Gambie pour aller en Casamance, et quand je suis revenue de Casamance, je suis repassée par la Gambie, juste pour prendre mon avion. À la douane on m’a arrêtée et on m’a dit : « non, mais vous ne passez pas comme ça ! La Gambie c’est un endroit à visiter aussi, ce n’est pas juste un endroit de transit. Nous, on n’est pas d’accord avec ça… il faut que vous payiez maintenant. » Donc là, j’ai commencé à flipper un petit peu parce qu’on m’a enfermée dans un bureau avec un mec pas commode du tout. Du coup je lui ai dit : « Mais si ! je suis restée un peu Gambie ! » Et je lui ai montré mon carnet. Je lui ai dit que j’avais visité la ville de Brikama. Je lui ai montré des gens que j’avais dessinés, des petits magasins au bord de la route, etc.  Il a regardé, puis il m’a dit : « Ah ! O.K. » Et il m’a mis le tampon. Un cas où le dessin m’a vraiment aidé ! Sinon ce n’était pas gagné du tout.

Le voyage a-t-il eu une influence sur ta conscience écologique ? Et quel conseil pourrais-tu donner à la jeunesse à ce propos ?

C’est une vraie question. J’ai toujours le sentiment quand je voyage et que je vais prendre l’avion, pour aller au Sénégal par exemple, que ce n’est pas tout à fait bon pour la planète. Par contre, ce que je vais y trouver, ce que je vais ramener dans mes carnets, et toutes les discussions que je pourrai avoir avec les gens qui les verront. Bah ça, ça peut peut-être aider. Il y a toujours une espèce de balance : « est-ce que je fais bien d’y aller ? Le bilan carbone n’est pas bon. En même temps, tout le temps que j’ai passé au Sénégal, finalement j’ai marché, je n’ai pas consommé à outrance comme je pourrai consommer ici, parce que c’était juste des rencontres et je n’ai rien dépensé finalement, tu vois. » La question est complexe. En tout cas, je crois qu’il faut voyager. Il faut aller voir ailleurs, c’est sûr. Même si le fait d’y aller à un impact sur l’environnement. Quand on était au Sénégal, il y avait des déchets partout. En fait, il n’y a pas de camion poubelle. Dans une ville j’en ai vu un, c’était une espèce de carriole ouverte à tous les vents. Donc tout ce qui était mis dans le camion ressortait aussitôt, c’était une catastrophe. Dans toutes les rues, il y a des déchets partout. Un jour, on a été chercher les enfants d’une école, on était en lien avec leur instit. Il y avait deux classes. Une cinquantaine d’enfants par classe. Il y avait une centaine de gamins. On leur a dit : « On va faire toute la rue principale du village tous ensemble et on va ramasser les déchets. » En cinq minutes tout était nettoyé. On était tellement nombreux ! Eux, ça leur a beaucoup plu. Et on a regardé la rue après, elle était hyper belle, il n’y avait plus un seul déchet par terre. Donc c’était une espèce d’éducation à ne pas jeter. Et en même temps, après on s’est trouvé bien bête parce qu’on avait des sacs remplis de déchets, mais qu’est-ce qu’on allait en faire ? Il n’y a pas de décharges, il n’y a aucun endroit prévu pour ça. Donc on les a juste posés un peu plus loin, on n’avait pas la solution, mais c’est un début, tu peux essayer de ne pas jeter ton truc par terre quand tu l’as fini. Il faut montrer l’exemple. Après moi je n’ai pas la solution.

 

 

Propos recueillis par Florian Chalvet, bénévole, lors du Festival du Voyage Engagé 2022