Katell Faria, jeune écrivaine d’une trentaine d’années, se passionne pour le monde aérien suite à une formation de parachutisme. Elle consacre sa vie à la littérature et transmet à travers ses textes des tranches d’histoires de femmes historiques et inspirantes: les aventurières du ciel.

Vous publiez votre premier livre…

Oui, c’est un ensemble de biographies qui s’appelle « Les aventurières du ciel », qui raconte la vie de six grandes pionnières de l’aviation, du temps qu’on appelait « l’époque héroïque ». Ça correspond plutôt aux années 20-30, mais ça va aussi jusqu’en 40 et encore plus pour certaines aviatrices. Mais beaucoup de ces femmes sont mortes très jeunes. Donc c’est pour ça qu’il n’y en a que quelques-unes dont l’histoire se prolonge au-delà. 

Voyage, livre… est-ce que ça change la vie ?

Un voyage… Eh bien, j’ai eu une aventure qui a changé ma vie, c’est celle auprès des combattantes kurdes. Je les ai rencontrées il y a deux ans. Mon objectif, c’était de raconter leur vie au sein d’un bataillon, et de parler de leur histoire et de leur combat. Donc ce n’est pas vraiment un voyage, c’est en tout cas un engagement qui a compté. Mais j’ai plutôt l’impression que c’est une série de choses qui a changé ma vie… C’est comme pour les livres, j’aurai du mal à en donner un seul qui m’ait transformée. C’est plutôt la littérature en général qui m’a complètement forgée : citer un livre en particulier, ça m’est impossible. Toutefois, lorsque j’ai découvert ceux de Patrice Franceschi, d’abord en découvrant son recueil de nouvelles « Première personne du singulier », puis en lisant « La dernière ligne droite », donc la première partie de ses mémoires, je me suis dit : voilà une vie d’écriture et d’aventure, c’est ce dont je rêve au fond de moi depuis toute jeune, et on m’a toujours dit que c’était impossible ou en tout cas qu’il ne fallait pas y penser. On m’a rabâché que vivre de sa plume et accomplir ses rêves, c’était réservé à une sorte d’élite, que c’était tellement difficile qu’il ne fallait pas y penser. Et en fait en découvrant sa vie, son histoire, je me suis dit : tu n’es pas folle de rêver d’une vie comme ça. Lui l’a fait. Il lui a fallu beaucoup de courage, de volonté, de persévérance et d’intelligence pour y parvenir, mais il y est parvenu. Donc je pouvais me permettre de l’envisager puisque c’était possible ! Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui il est mon directeur de collection. C’est vraiment une personne qui compte pour moi. Lorsque j’ai découvert sa vie, ça a été une vraie prise de conscience ! Ça m’a libérée d’un grand poids, et en tout cas ça m’a encouragée pour mener la vie dont je rêvai, mais que je n’osais pas embrasser.

Katell et ses compagnes kurdes de Syrie

Katell et ses compagnes kurdes de Syrie

Sur une île déserte, qu’est-ce que vous emportez ?

À chaque fois que je vois cette question dans les tests magazine, je trouve toujours que les gens ont des réponses très originales, mais je suis incapable de répondre à ce genre de choses, j’ai trop peur de dire des banalités. 

Le voyage nous impose le dépouillement… alors, s’il faut vraiment choisir ?

Oui, mais vous remarquerez que beaucoup d’écrivains voyageurs s’encombrent d’une chose qui est considérée comme inutile par la plupart des gens, mais qui en fait est pour eux indispensable : les livres ! Ce qui n’empêche pas d’ailleurs de prendre aussi du véritable matériel de survie. Je me demande si ce n’est pas Sylvain Tesson qui m’avait dit un jour, alors qu’il partait marcher ou faire de l’alpinisme, qu’il était tombé sur de jeunes étudiants, peut-être des polytechniciens, qui lui avaient dit en le voyant faire son sac : — mais qu’est-ce que vous faites de tous ces livres ?! Et il n’avait pas eu de réponse à ça, parce que pour lui la littérature c’est la nourriture de l’âme qui est plus importante que tout le reste ! Donc ce qui peut sembler superflu aux yeux des uns peut être indispensable pour les autres. Alors je ne sais pas si je partirai avec un livre ou un carnet, c’est difficile à dire, mais un livre, ça me semble être un bon basic. À ce moment-là, j’emporterai peut-être Robinson Crusoé pour apprendre à survivre [rire]. Je ne saurai choisir entre une casserole ou une boîte d’allumettes, donc autant choisir quelque chose de parfaitement inutile et de tout à fait indispensable : un livre !

Qu’est-ce qui vous a inspirée lorsque vous écriviez « Les aventurières du ciel » ?

La documentation était la plus grosse partie de mon travail. Je cherchais des biographies sur mes héroïnes, plusieurs souvent. D’ailleurs la Bibliothèque Nationale de France a fait un travail formidable pour numériser des journaux des années 20-30. Donc j’ai dû lire des dizaines et des dizaines de journaux de l’époque. Parfois même certains qui n’avaient aucun rapport avec mon sujet. Mais, je comprenais mieux l’époque et découvrais sans cesse de nouvelles anecdotes, des interviews, etc. Donc c’était très amusant. Ça m’a permis de recréer des scènes et des dialogues. J’en ai inventé une grande partie, mais j’ai pu écrire à partir de situations véridiques, rapportées dans les journaux.

Bessie Coleman

Bessie Coleman

Donc beaucoup de recherche !

Oui, un gros travail, mais en même temps je m’y suis plongé avec joie parce que les vies de ces femmes étaient tellement extraordinaires, les personnalités si attachantes et si riches ! C’était facile de m’enthousiasmer pour elles. En plus, cette époque de l’aviation est vraiment passionnante… le travail de sélection était difficile, le livre devait respecter un certain nombre de caractères et donc je ne pouvais pas tout raconter.

 

Maryse Hilsz

Maryse Hilsz

Pourquoi l’aviation ?

C’est une proposition de mon éditeur. Alors comme je suis d’une nature curieuse et que l’aviation m’intéressait déjà — j’ai fait du parachutisme aussi — j’étais ravie d’accepter ce sujet. Du fait que je n’avais jamais fait de biographie, j’appréhendais un petit peu, mais en fait l’histoire de ces femmes était tellement passionnante que je me suis très facilement prise au jeu. 

 

Vous vivez de votre métier d’artiste écrivain ?

Oui. J’ai d’autres livres en cours dont un va sortir au mois de mai, toujours chez Point aventure, donc un livre collectif. En parallèle, je termine d’écrire mon premier roman. Après voilà, quand on est écrivain, il faut savoir vivre sobrement, ce qui est heureusement mon cas. Parfois pour vivre ses rêves, il faut être prêt à quelques sacrifices. Je viens du commerce. Mes amis mènent un train de vie très différent du mien. C’est difficile de quitter une voie sur laquelle on est bien lancé, c’est peut-être pour cela que ça m’a pris autant de temps. Mais aujourd’hui je n’ai aucun regret et je sais que mon choix est le bon.

Oui, mais vous, vous réussissez, c’est plus difficile pour ceux qui n’arrivent pas à se faire connaître.

J’ai mis du temps avant que ça marche. Je veux sortir du commerce et de la communication depuis longtemps. À ma première vraie sortie de route, j’avais 25 ans. Je me suis donnée une année pour me consacrer à l’écriture et à la peinture, ça n’a pas marché, j’ai réessayé plus tard… Donc ça prend parfois beaucoup de temps ! Patrice Franceschi m’a dit une chose qui m’a beaucoup marqué : « souvent les gens abandonnent quand ils sont sur le point de réussir. » Dans ces affaires là il y a toujours une part de chance, mais il y aussi une grosse part de volonté. Parce que souvent les opportunités, les rencontres se créent à force de persévérer. Quand vous vous intéressez vraiment à un sujet, que vous connaissez tout de ce sujet, qu’il y a des personnes que vous avez envie de côtoyer et que vous faites tout pour les rencontrer… Il n’y a pas vraiment de hasard. Si vous êtes vraiment passionné par un domaine parce qu’il vous anime et vous habite, et si vous êtes prêt à faire des sacrifices pour le choix de vie qui vous obsède, il y a des chances pour que des portes s’ouvrent.

Est-ce qu’il vous arrive de mal écrire ?

Oui, oui ! Un peu par prétention, on peut espérer que le premier ou le deuxième jet sera le bon. En fait, non ! Comme disait si bien Boileau : « Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. » C’est un conseil exigeant et parfois ça peut être un peu douloureux. Il y a des moments où j’arrive à peine à relire un texte tellement je le trouve mauvais. Il peut arriver que je sois très satisfaite d’un paragraphe. Je le laisse reposer deux ou trois jours. Et quand je le redécouvre, je me dis : « mais c’est une catastrophe, rien ne va ! » Et en fait, il faut avoir l’humilité de retravailler son texte jusqu’à ce qu’on ne puisse plus l’améliorer.

Comment savez-vous qu’un texte sonne juste ?

Ça dépend. Tout ce que je peux vous dire c’est que j’ai besoin de recul. Je dois prendre de la distance pour m’en rendre compte. Parce que si je travaille mon texte en continu, j’ai la tête dans le guidon, et je ne peux pas voir ce qui ne va pas. Parfois j’ai besoin d’un regard extérieur, comme celui de mon directeur de collection qui me dit : « là il y a un truc qui ne fonctionne pas. » En tout cas, après quelques jours, ou après quelques semaines, quand je reprends, je vois tout de suite ce qui va ou ce qui ne va pas. Après, trouver la phrase juste, ça, c’est très difficile, je trouve. Je me considère avant tout comme une conteuse, c’est-à-dire que mon premier talent, c’est de raconter les histoires. J’ai de la facilité à trouver une bonne attaque, une bonne chute. Je sais raconter. Mais trouver le mot juste et la phrase bien équilibrée, ça me demande beaucoup plus de travail. C’est presque de l’orfèvrerie. 

Katell Faria

Katell Faria

Vous consacrez-vous à l’écriture dans un lieu en particulier ?

Oui, j’écris un peu en ermite. Parfois dans la maison de campagne de mes parents lorsqu’elle est libre. J’éteins mon téléphone. Je ne réponds plus à mes mails. J’écris tout le temps, et même quand je ne le fais pas, je pense à mon livre. En fait j’essaye d’entretenir l’état d’esprit qui me permet d’écrire. Il peut m’arriver de ne pas voir mes amis pendant des mois. Je me protège de toutes les distractions susceptibles de me déconcentrer. Je peux être assez radicale. Je supprime toutes les applications de mon téléphone. Le tout, c’est de bien se connaître. Je sais que j’ai besoin de beaucoup de calme et de solitude. Peut-être qu’un écrivain plus confirmé n’aurait de nécessité que la feuille et la plume. Enfin, je crois aussi                                                                                                   que c’est très personnel.

Que pourriez-vous dire au sujet de l’écologie qui pourrait servir à la jeunesse ?

Je dirai que la première démarche, si on veut s’intéresser à l’écologie, ce serait d’arrêter de faire du tourisme, mais plutôt d’essayer d’être un vrai voyageur. Je crois qu’il y a l’art de voyager et que ça s’appelle l’aventure… Je me souviens très bien, lors d’un périple en Amérique du Sud, j’avais décidé de tout faire en bus, je pouvais y passer 24 h pour les plus grandes traversées, comme au Chili où au Pérou. J’avais accepté de prendre ce temps, je considérais que ces trajets faisaient partie du voyage et que ça me permettait de voir le pays. Et je me souviens d’avoir rencontré un couple qui avait décidé de « faire » une capitale par jour pendant leur semaine de vacances. Donc en fait ils prenaient sept fois l’avion pour débarquer systématiquement dans une ville qu’ils allaient parcourir de façon très superficielle. Et autant je ne suis pas du tout pour qu’on interdise ou qu’on culpabilise en permanence ceux qui prennent l’avion, autant là je trouve qu’on atteint un extrême aberrant ! En plus, je ne vois pas du tout l’intérêt de découvrir une capitale en seulement quelques heures… je ne trouve ça ni intéressant ni enrichissant. L’écologie, il faut déjà se la poser par rapport à notre manière de vivre. S’interdire de partir serait une bêtise, mais en revanche, ramener le voyage à sa véritable origine, à sa vraie signification, c’est-à-dire essayer de faire le plus de choses possibles par ses moyens, respecter l’esprit du voyage plutôt que d’aller à la facilité et de passer toujours par des agences. Donc je trouve ça tout à fait normal qu’on prenne cause pour l’écologie, qu’on veuille la défendre et je m’y intéresse, mais je pense qu’il ne faut pas se limiter à ce domaine-là. Vous voyez, quand on voit aujourd’hui ce qui se passe en Ukraine, on se rend compte que des tas de pays autour de nous se militarisent. En fait il y a une énorme course à l’armement dans le monde entier, mais en Europe on n’en parle presque pas. Pour moi, ça aussi ça fait partie des sujets auxquels on doit s’intéresser, et je crois que pour préparer l’avenir, il faut rester ouvert sur tous les plans.

Katell Faria

Katell Faria

Propos recueillis par Florian Chalvet, bénévole.