Les vertus du voyage en famille
Voyager, est-ce vraiment une expérience réservée aux adultes, qu’elle soit solitaire ou amicale ?
Il semble que ce temps soit révolu.
De plus en plus de familles se lancent sur les routes du monde, à vélo, à pied, en train ou encore en van. Avec leurs enfants parfois très jeunes, elles partent vivre une aventure humaine inoubliable.
Le choix et le vécu de ces expériences balayent plusieurs idées reçues tenaces (tant celles-ci peuvent être admises en société), notamment :
- Celle qui martèle que les dangers sont plus grands et plus nombreux en voyage. Partir voyager en famille, ce serait s’exposer à des risques et mettre volontairement en danger ses enfants (perçus comme des êtres fragiles). On fustige alors l’irresponsabilité des parents.
- Celle qui pointe du doigt la déscolarisation temporaire et tend à affirmer que les enfants concernés vont manquer du cadre, de la discipline et des apprentissages nécessaires à leur bon développement.
Il n’est cependant pas indispensable de partir loin et longtemps pour éprouver les vertus du voyage en famille. Certaines personnes s’emparent de voyages locaux et courts, itinérants ou non, pour explorer le tissu de leurs relations familiales et découvrir en profondeur un territoire.
Je suis allé rencontrer deux projets qui placent la famille au cœur de leur voyage engagé, explorant les liens qui les définissent tout en s’engageant pour un monde vivant, plus solidaire et écologique.
Des voyages à impact positif qui redessinent les manières de se rencontrer et de faire société.
Ecouter le témoignage d’Anne-Ségolène :
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Expérimenter les liens familiaux en voyage
Je me rends dans un petit village au cœur du Beaujolais, afin de rejoindre la maison d’Anne-Ségolène, Anthony et leurs trois enfants, Clémence, Olivia et Gaspard (âgés de 2 à 7 ans). Ces derniers ont retrouvé l’école et la sédentarité après avoir expérimenté la vie nomade pendant près d’un an. C’est le début d’après-midi. Anthony nous quitte pour aller travailler. Et j’interviewe Anne-Ségolène sur le périple initié en famille à l’été 2022.
C’est à bord de « Béber », ancienne ambulance de l’armée métamorphosée en van, que la famille a parcouru les routes du continent sud-américain, de la Colombie à l’Argentine, en passant par l’Equateur, le Pérou et la Bolivie. Le véhicule se transforme à volonté en dortoir, cuisine, salon et salle de classe.
Anne-Ségolène me confie que le voyage n’était pas tout rose. La famille fait face aux difficultés de la vie à cinq en permanence dans le même espace, cumulées au rythme effréné d’un voyage engagé. Des tensions émergent. Après deux mois, les parents pensent à rentrer, avant que cela ne finisse par exploser.
« On s’est rendu compte que tout le monde avait besoin d’être écouté mais que personne n’écoutait l’autre ». Deux jours de repos ont permis à chaque personne d’exprimer ses besoins. « Tout le monde s’est apaisé », prenant « les choses avec beaucoup plus de lenteur et de douceur. »
Pour Anne-Ségolène, l’une des grandes vertus du voyage se trouve dans la présence égalitaire des deux parents. « Avoir la présence 24h/24 de leur papa, ça a vraiment changé la face de la vie de famille. Ça me permettait de plus me révéler moi-même comme maman. Lui a plus appris à découvrir les enfants et eux le découvrir lui. C’est une chose qu’on n’aurait pas réussi à toucher du doigt de la même façon si on n’avait pas coupé de notre quotidien. »
Elle s’enthousiasme aussi des rôles inversés des tâches ménagères. Pendant qu’elle donne l’école à ses filles, Anthony s’occupe certes de la mécanique mais aussi de Gaspard, des lessives et de la préparation du repas du midi.
« Le rythme de l’itinérance correspond mieux à nos enfants que le rythme classique de l’école en France. Je pense qu’ils étaient clairement plus épanouis. »
Ce voyage en famille s’incarne aussi dans un projet social à la rencontre des enfants en situation de fragilité. C’est le projet Familare !
Clémence, Olivia et Gaspard ne sont pas mis de côté. Au contraire, lui et elles prennent part au projet avec cœur, innocence et curiosité, en créant des liens uniques avec les enfants rencontrés au fil du voyage.
La réalité du quotidien en France s’efface au profit d’une nouvelle organisation qui, basée sur la temporalité du voyage, laisse plus de place à l’inconnu et à la spontanéité.
Les parents décident de faire confiance à leurs enfants. En l’honorant, il et elles profitent d’un champ des possibles élargi. « Dès qu’on avait fini les devoirs quotidiens avec les filles, c’était la liberté complète. Elles passaient de maison en maison. Et en fait c’est là où on les a vu le plus prendre leur envol, affirmer leur caractère aussi. Je pense que cette vie assez libre permet aux enfants de développer plus leurs compétences que ce qu’on peut avoir dans le quotidien. »
Que ce soit dans une école en Colombie, un orphelinat au Pérou, ou dans un centre de renutrition infantile en Bolivie, un climat de confiance mutuel s’instaure entre la famille, les enfants et le personnel, en grande partie grâce aux synergies créées par les enfants.
Familare, c’est un projet qui s’interroge plus largement sur ce qui fait « famille », qu’elle soit définie par des liens de sang ou non. Leur documentaire, retraçant les passages dans ces lieux, s’attache à montrer que la dignité d’un enfant prend racine dans l’amour qui lui est donné, quelle que soit sa source (famille, personnel hospitalier ou mères de substitution).
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Rencontres à Canaveral, petit village pêcheur sur la côte équatorienne
Le projet documentaire « Les Agrofrangins » explore les relations entre trois frères. Le premier, Thibault, est réalisateur. Les deux autres, Mattias et Grégoire, sont maraîchers.
C’est à Mornant, dans les monts du lyonnais, que j’interroge Thibault sur ses voyages ainsi que sur le processus de création documentaire. On revient notamment sur son enfance, qu’il qualifie d’heureuse, avec ses trois frères et sa sœur. Il doit à ses parents le goût de la montagne. Il a l’opportunité de randonner en famille dans le Moyen Atlas au Maroc l’année de son bac ou plus tard au Ladakh, dans l’Himalaya indien. Son séjour d’une année en Inde lui donne des clés sur ce que les humains ont en commun, malgré la différence des cultures : « ils partagent les mêmes grands sentiments ».
Aujourd’hui père de famille ; et après avoir beaucoup parcouru le monde lors de déplacements professionnels et vacanciers, davantage en prise avec les enjeux écologiques de son temps ; Thibault me partage son attrait pour ce qui l’entoure directement.
Ecouter le témoignage de Thibault :
Il s’est rendu avec sa caméra dans le Gers, région agricole connue pour ses monocultures de maïs et de tournesol, pour aller rencontrer les initiatives portées par ses frangins. Celles-ci mettent en lumière deux types d’agricultures « biologiques » aux approches très différentes.
– Matthias exploite des terres visant à produire suffisamment pour alimenter en bio et local un supermarché du coin dont il est salarié.
– Grégoire investit une démarche pédagogique sur sa ferme, accueillant du public, et expérimente une agriculture syntropique à petite échelle.
Pour Thibault, ces deux modèles sont complémentaires.
« Je me retrouve à faire parler des agricultures qui se parlent assez peu habituellement. Et là comme c’est des frangins, l’espace de dialogue existe. Aucun d’eux ne prétend avoir la solution parfaite, réplicable pour toujours.
C’est vraiment cet état d’esprit qui anime mes frères qui m’a donné envie de faire le film. »
Thibault se retrouve devant la caméra pour plusieurs scènes. Le film met en avant avec humour et poésie la relation entre ces 3 frères. C’est aussi l’occasion pour Thibault de découvrir sous un nouveau jour Grégoire, de 14 ans son cadet. Une génération d’écart. Comprendre ses positions, convictions et engagements pour le vivant. Aujourd’hui, c’est lui qui lui apprend plus de choses. Ce projet a aussi permis à leur père de mieux comprendre les choix professionnels de ses enfants, de mieux percevoir la réalité de leurs métiers respectifs.
Le tournage devient un lieu privilégié pour prendre soin des liens, se nourrir de leur force et les célébrer. Car un tournage, cela prend du temps. Il faut saisir les réalités, capter les émotions, faire rencontrer les personnages.
Ce voyage local dans le Gers a permis d’enrichir le tissu des relations déjà établi.
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Scène d’une réunion familiale dans le Gers – film « Les Agrofrangins »
Favoriser l’échange avec une famille élargie
Ces expériences de voyage en famille, doublées d’un engagement au sein des territoires, sont de nature différente. Elles ne se déploient pas sur le même continent. L’une fait la part belle à l’itinérance quand l’autre choisit l’exploration d’un territoire restreint. L’une s’étend sur un an en continu quand l’autre se compose d’immersions de courte durée sur plusieurs saisons. Une famille est composée d’enfants en bas âge découvrant le monde, l’autre d’adultes qui ont (un peu) vécu mais cherchent le moyen de se retrouver.
Elles partagent cependant de mêmes finalités :
- Agir au nom de valeurs plutôt que subir l’inertie des craintes et des jugements ;
- Montrer que la rencontre authentique de la différence, ici ou là-bas, fait davantage grandir que d’exposer aux risques. Elle colore et enrichit par ses nuances le tableau du réel plutôt que d’étiqueter et ranger en catégories ;
- Prouver que l’amour et la bienveillance peuvent définitivement changer le monde.
Elles partagent aussi de mêmes objectifs : rendre compte des vertus de ces aventures familiales qui prônent la lenteur et la découverte, et sensibiliser aux enjeux socio-écologiques de leurs projets à travers la diffusion d’un documentaire.
Ces films transmettent des émotions, des apprentissages et permettent d’échanger avec tous ces êtres qui font partie d’une famille plus large : celle d’une société, celle de l’humanité. Ils invitent à prendre soin du tissu du vivant, qui nous unit malgré les différences, au-delà des liens de sang. Un premier pas : l’échange.
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Anthony CHAMBE
Animateur du podcast "De Vives Voies"
Je te les fais découvrir dans ce podcast !
« De Vives Voies » questionne le sens du voyage et définit ses existences désirables dans un monde socialement juste et écolo.
Suis mes aventures et les coulisses de chaque épisode sur Instagram et sur Linkedin.