Le voyage à vélo suscite-t-il le bonheur ?
Comment échapper à une logique de performance imposée tout au long de l’année lorsque je suis invité à enfourcher le vélo afin de parcourir des centaines de kilomètres en quelques jours ?
Même si je suis favorable à ces nouveaux imaginaires du voyage, le voyage lent est-il vraiment fait pour moi ?
Et puis, ai-je le droit et suis-je en mesure d’éprouver le bonheur quand j’aperçois la misère sociale depuis la selle de mon « deux roues » ?
Le podcast « De Vives Voies » m’a emmené à la rencontre de deux cyclistes témoignant de leurs perceptions du bonheur en voyage tout en questionnant ce qui fait le bien-être collectif.
Je t’invite dans cet article à découvrir ce que le voyage à vélo est en mesure d’apporter et transformer.
Une quête du bonheur en voyage
On est le 4 juin. Quelques jours nous séparent d’un scrutin européen décisif. Très impliqué dans la cause écologique, notamment au sein du réseau Fertiles, Rémi s’investit par ailleurs bénévolement pour que celle-ci soit prise en compte dans les urnes. C’est dans ce contexte politique particulier qu’on a pris le temps d’échanger sur les conditions d’accès au bonheur en voyage et en société.
Rémi est co-fondateur du projet « Vivre à la bonheur ». Celui-ci a pris la forme d’un voyage d’un mois en tandem et rosalie au Maroc, afin de recueillir les visions et perceptions du bonheur rencontrées en chemin. L’objectif de ce projet : réaliser un documentaire pour nous permettre de réfléchir aussi à celles qui nous portent.
Pour Rémi, ce voyage est un prétexte pour retrouver 7 personnes avec qui il s’est lié d’amitié au lycée. « On part ensemble pour éprouver nos amitiés autrement. On vient apprendre et se confronter à des difficultés ensemble. »
Sur une route au Maroc, en rosalie.
« Le voyage n’est pas tout rose tout le temps. Il y avait des moments où il y avait des tensions. Mais s’il y a des tensions, cela veut dire que c’est vivant.
Il y a plein de manières de prendre des décisions. Celle qu’on utilisait le plus, c’était de s’assurer que tout le monde soit ok. Par exemple, il y avait deux personnes qui allaient chercher un endroit où loger, qui revenaient et proposaient au reste du groupe. Et s’il y a une personne pour qui ça n’allait pas, on essayait de comprendre pourquoi. »
Rémi raconte le moment où le groupe s’est retrouvé dans un hôtel vide à Issaguen, dans la région du Rif au Nord du Maroc. Hôtel dans lequel les propriétaires blanchissaient de l’argent lié au trafic de cannabis. Plusieurs personnes ne se sentant pas à l’aise, le groupe a décidé de quitter la ville.
Voyager lentement en groupe, c’est s’appuyer sur une force insoupçonnée : celle du collectif.
Florence Ramel passe ses journées à rédiger un mémoire de sociologie qui la passionne sur les médias alternatifs nantais. J’ai troqué le Rhône pour la Loire pendant quelques jours. Entre deux séances d’écriture, on se perd dans les rues de la ville lors de la fête de la musique, et on enregistre l’interview qui rend compte de ses voyages déconnectés à vélo en Europe.
Celle qui avait pris l’habitude de relater ses périples en stories instagram a fait depuis 2019 un choix fort : celui de se passer de son smartphone et de GPS. Elle cumule aujourd’hui plus de 21 500 km sans l’usage de ces technologies.
En 2019, la néo-cycliste part de Vienne, en Autriche, afin de réaliser une boucle en Europe, sans tracé défini à l’avance, alors qu’elle n’a jamais voyagé à vélo sur plusieurs jours. Son 1er objectif : rejoindre les Balkans.
Mais comment se repérer sans carte numérique lorsqu’on ne suit pas un seul chemin balisé ?
Florence a accordé sa confiance à plusieurs boussoles qui l’ont guidé tout au long de son chemin :
- L’objet cylindrique pour maintenir son cap. Sud-Est par exemple lorsqu’il s’agit pour elle de longer la côte croate. Elle s’est aussi orientée grâce au soleil.
- Celle de ses intuitions qui l’invite à s’arrêter ici ou là, à faire confiance à telle personne.
- Celle des rencontres. Sur le bord de la route pour avoir le conseil de locaux, chez l’habitant le temps d’une soirée, etc.
C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée par hasard à faire la tournée de caves à vin nouveau en Hongrie.
Florence revient avec des centaines d’anecdotes et de sourires, nourrie par des rencontres qui lui ont donné confiance en l’humanité, qui l’ont fait changer de regard sur le monde. Jamais elle n’aurait imaginé trouver tant de générosité désintéressée.
Cette détox numérique l’a dotée de temps qualitatifs de reconnexion à elle, qui lui ont permis de prendre soin de son corps et de son esprit. La mobilité douce lui a donné l’occasion de définir son propre rythme, et de le modifier si besoin chaque jour. Plus encore, elle me fait part d’un effet bénéfique qui lui tient à cœur : « j’ai réalisé que j’avais une créativité, qui était vraiment là et qui ne demandait qu’à être explorée ». Celle de l’écriture.
Lors d’un second voyage déconnecté à destination de l’Écosse.
Il a en tête le témoignage marquant de la jeune Youssra : « Le bonheur pour moi, ce n’est pas quelque chose qu’on doit chercher. C’est quelque chose qui vient comme le vent ou le chant des oiseaux. Si on le cherche, on a déjà une idée de ce à quoi il ressemble et donc il ne nous rend plus heureux. »
Les perceptions du bonheur sont diverses, aussi nombreuses qu’il y a d’êtres humains sur terre.
Rémi insiste cependant sur le fait que le bonheur est une compétence qu’on a plus de chance de développer si on a accès à l’éducation, à un toit, à une alimentation saine et suffisante, à l’amour, à la paix, etc.
Penser le bonheur à l’échelle collective
Le voyage à vélo est un formidable vecteur de rencontres. L’arrivée d’une cycliste étrangère dans un village avec un vélo aux grandes sacoches est une invitation à découvrir un long voyage. Sa présence pose une question aux locaux présents sur sa route : qu’est-ce qui t’amène ici aujourd’hui ? Qu’es-tu venue découvrir ?
Le voyage à vélo impose de prendre soin de soi : respecter les limites de son corps, se reconnecter à celui-ci. Nul besoin de performer, il s’adapte aux rythmes de chaque personne. C’est également dans l’expérience de la vulnérabilité et des difficultés, que le bonheur peut pointer le bout de son nez.
Le voyage lent transforme aussi car il rend visible les réalités du monde et donc les injustices sociales. Florence évoque la rencontre avec une famille précaire vivant au bord d’une nationale bruyante en Angleterre. Rémi parle des embarcations de fortune présentes sur la côte nord du Maroc dans lesquelles s’engagent des personnes migrantes au péril de leur vie.
Dès lors, le bonheur ne peut plus être pensé seulement à l’aune des perceptions individuelles. Il devient le fruit du collectif. Le voyage lent crée ainsi des ponts entre les cultures, politise et peut susciter l’engagement.
Il invite à poser les fondements d’un bonheur collectif.
Et si être heureux, c’était s’engager pour un monde capable de garantir l’accès au bonheur à toutes et tous ?
Anthony CHAMBE
Animateur du podcast "De Vives Voies"
Je te les fais découvrir dans ce podcast !
« De Vives Voies » questionne le sens du voyage et définit ses existences désirables dans un monde socialement juste et écolo.
Suis mes aventures et les coulisses de chaque épisode sur Instagram et sur Linkedin.