Qu’est-ce que le voyage à impact positif ?

En quoi diffère-t-il de ce que l’association appelle « Voyage engagé » ?

Dans ce 1er épisode du podcast « De Vives Voies », on prend le temps de répondre à ces questions et on revient en détails sur le tour du monde à vélo réalisé par Siméon, ses grands apprentissages et les transformations personnelles qui en ont découlé !

On voit aussi comment, d’un film, On The Green Road est devenue l’association qui mêle voyage, écologie et média citoyen, et celle qui accompagne aujourd’hui au travers de Vaya Campus, de nombreux projets de voyages engagés !

Ecouter l’épisode :

A retrouver également sur Spotify, Apple Podcast et Deezer

Quels sont les  différents impacts du voyage ?

Siméon dresse dans cet épisode un état des lieux des usages du voyage de nos jours.

Il évoque notamment l’usage de l’avion. S’il était probablement une bonne idée de développer ce transport et de le rendre accessible au plus grand nombre après la 2nde guerre mondiale afin d’inciter à rencontrer les différences, et donc réduire le risque de guerre (c’est pour cette raison que le kérosène n’est pas taxé, nous informe Siméon), l’usage absolument massif qui en est fait aujourd’hui a des effets délétères et irréversibles sur l’ensemble du vivant.

On parle souvent de l’importance de son impact carbone. A raison ! Selon l’ADEME*, le transport aérien a représenté 5.3% des émissions de GES de la France en 2019, ce qui est 2,2 fois plus qu’il y a 30 ans. D’après le média Bon Pote**, un vol Paris-New York aller-retour représente environ 2 tonnes CO2eq par passager, l’empreinte carbone individuelle souvent citée comme celle à ne pas dépasser si on souhaite limiter le réchauffement climatique autour des 1.5 degrés à l’horizon 2050.

On en parle moins mais le transport aérien a aussi, comme l’indique l’agence de la transition écologique, d’autres effets que celui provoqué sur le climat : la pollution de l’air, la diminution de la biodiversité et l’artificialisation des sols causées par la construction et l’extension des aéroports ou encore les nuisances sonores.

Il est également nécessaire d’aborder le transport aérien sous le prisme de la justice sociale. Car là encore, son usage est profondément déséquilibré et source de grandes inégalités. D’après l’ADEME*, plus de 60% de la population mondiale et 20% des français n’ont jamais pris l’avion. 50% des voyageur.euse.s sont issu.e.s des classes supérieures. Bon Pote rappelle aussi que l’usage de l’avion n’est pas une norme en France : seulement 30% des français.e.s prennent l’avion au moins une fois par an. L’impact carbone est de plus principalement généré par une poignée d’individus : « 1% de la population mondiale est responsable de plus de 50% des émissions de GES liées aux vols commerciaux et privés »*.

Dans le même temps, le trafic aérien poursuit son envol et devrait battre son record d’avant-covid : 5 milliards de passagers sont attendus en 2024 !*** Le marché asiatique est celui qui connaît la plus forte croissance. « Selon le CEO de Boeing en 2017, en une seule année, 100 millions d’Asiatiques allaient prendre l’avion pour la première fois de leur vie. »** Pourquoi les personnes qui n’ont jamais connu ce loisir n’auraient-elles pas aussi le droit de partir à la rencontre de nouvelles cultures et d’explorer le monde sur d’autres continents ?

Si on veut limiter au maximum l’impact de l’avion tout en le rendant équitable et juste pour tout le monde, alors cela signifie qu’utiliser le principe du pollueur payeur n’est clairement pas la bonne solution. Les individus et entreprises riches, étant déjà les plus grands consommateurs de l’avion, seront toujours en mesure de payer pour continuer cette pratique et c’est les individus les plus pauvres, ceux qui peuvent le moins se le permettre, qui renonceront à celle-ci.

« Si on veut être démocratique et que tout le monde ait les mêmes droits à prendre l’avion, alors il faut qu’on baisse fortement ! »

Siméon Baldit de Barral

Dans cet épisode, j’ai invité Siméon à réagir à la récente proposition qui a fait le buzz, celle de Jean-Marc Jancovici, relative à la mise en place d’un quota. Ce dernier estime qu’il serait raisonnable et enviable de permettre à toutes et tous d’accéder à maximum 4 vols par vie et par personne. Si l’on peut se demander quelles pourraient être, par exemple, les exemptions particulières concernant les personnes qui ont toute ou partie de leur famille sur un autre continent, cette proposition semble faire sens. C’est en tout cas une proposition qui plaît à Siméon.

Jancovici n’est d’ailleurs pas le premier à y avoir pensé. Dans la lignée des fondations d’un « monde d’après » plus sobre caractérisé par un ralentissement général, souhait collectif affiché par un grand nombre de citoyen.ne.s à la sortie du 1er confinement, les député.e.s François Ruffin et Delphine Batho ont présenté en juin 2020 à l’assemblée nationale une proposition de loi**** visant à instaurer un quota carbone individuel (en nombre de km) pour limiter l’usage de l’avion.  Ils expliquent que « l’idée est de permettre aux français de faire un grand voyage, mais pas tous les ans, et encore moins plusieurs fois par an. » Ils ajoutent que des exceptions sont à prévoir pour « les rapprochements familiaux et les impératifs de santé ». L’enjeu de cette proposition était de lancer le débat.

Outre l’avion et l’impact représenté par les transports (voiture, bateau, etc.), Siméon met en avant d’autres impacts non moins négligeables, ceux provoqués par le tourisme de masse sur les territoires. Il prend l’exemple dans cet épisode de la ville de Florence dans laquelle il s’est rendu : il constate que la ville suffoque sous les afflux immenses de touristes : « les universités ont de moins en moins de place. Le coût de la vie augmente à cause du tourisme et les étudiants ont plus de mal à se loger dans la ville. Toute possibilité de faire des concerts dans la ville devient compliquée. Un nouvel aéroport va également être construit. »

La pratique du voyage qui domine au XXIème siècle n’est pas celle d’une expérience authentique de cheminement. Elle correspond au contraire à la consommation de destinations. De nombreux écosystèmes sont mis à mal voire détruits. L’industrie touristique s’est lancée dans une course effrénée à l’artificialisation des espaces pour garantir le confort de ses usagers. Elle standardise tout sur son passage de sorte que le.la touriste puisse avoir un peu de chez lui.elle à destination : l’idée étant de dépayser sans choquer, sans trop de changements. Le touriste est là pour se reposer, penser au moins de choses possibles et suivre le chemin tout tracé qu’on lui présente. Après tout, il a besoin de souffler d’un travail qui l’a probablement épuisé. Et pour cela l’industrie touristique exploite des locaux qui n’ont peut-être même pas cette chance de pouvoir voyager loin.

En effet, alors que le passeport français donne accès à 194 destinations dans le monde, le passeport afghan donne dans le même temps accès à seulement 26 d’entre elles.*****

Là encore, les inégalités sont profondes.

Peut-on encore se permettre de voyager ?

C’est la question que j’ai posé à Siméon suite à ces constats très alarmants. Est-ce que le mieux ne serait-il pas de renoncer à tout voyage lointain ? Et d’aller à l’encontre de notre propension à voyager ?

Siméon a lui-même été contraint de recourir à l’avion au cours de son voyage (pour traverser une partie du Pakistan dont les routes étaient fermées pour l’hiver, pour aller en Amérique Latine et retourner en Europe notamment). Il avait pleinement conscience de cet impact et plutôt que de le cacher, il s’en ai servi pour faire usage de transparence : l’impact carbone de son voyage reste élevé et les efforts de compensation carbone engagés (plantation d’arbres) non suffisants pour pallier celui-ci. Pour autant, il a fait de ce voyage initiatique vécu sur le temps long (14 mois) en mobilité douce, un vecteur de rencontres inspirantes. Les témoignages recueillis irriguent un film, auto-produit, dont l’objectif est de sensibiliser aux enjeux écologiques.

Derushage d'un tour du monde à vélo pour documentaire

Ecriture et réalisation du documentaire On the Green Road

Pour accompagner les projets qui s’engagent aux côtés de l’association On The Green Road, cette dernière les invite à signer la charte HOPE, composée des 4 valeurs qui définissent pour elle ce qu’est un « voyage engagé » :

  • H pour Honnêteté qui renvoie notamment à la transparence du projet évoquée plus tôt et à la garantie de son indépendance médiatique.
  • O pour Ouverture : au monde, aux rencontres authentiques du chemin, aux imprévus, à l’inconnu.
  • P pour Partage car cette aventure personnelle se doit de devenir collective pour avoir un impact sociétal : un projet de voyage engagé s’engage à partager son expérience et les solutions découvertes sur un sujet socio-environnemental auprès d’une diversité de publics à l’aide d’un contenu médiatique (documentaire, conférence, expo photo, etc.).
  • E pour Eco-responsabilité : le projet est caractérisé par une démarche environnementale globale.

Si par exemple un projet se développe en Amérique Latine et qu’il est nécessaire de prendre l’avion pour se faire, alors le projet a un sens écologique si le voyage s’effectue sur le temps long, dans une démarche majoritairement non touristique, en explorant un sujet social ou environnemental et rendant compte de celui-ci au retour du voyage. Sur le territoire, il s’engage notamment à expérimenter d’autres mobilités que l’aviation tels que le vélo, les transports en commun, le stop…

En prenant un peu de recul, on se rend compte que ces projets ont un impact global positif sur la société : ils transforment en profondeur les personnes qui les vivent (au contact des réalités de terrain mêlant aventure, rencontres et introspection), suscitent des vocations (un certain nombre de personnes se découvrent des passions, font de leur projet le fondement d’une prochaine activité professionnelle) et provoquent auprès d’une diversité de publics des prises de conscience à même de susciter l’envie d’agir en faveur de la transition écologique et solidaire de nos sociétés.

 

Siméon accueilli par une famille en Ouzbékistan

Le voyage engagé n’est pas le seul mode de voyage désirable. Siméon fait la promotion de ce qu’il appelle le V.I.P., non pas celui promu par les compagnies aériennes par exemple (fortement consommateur, élitiste et néfaste). On parle ici de Voyage à Impact Positif !

Ce dernier se traduit par toutes les façons de voyager autrement qui n’impliquent pas forcément le partage d’une expérience ou l’exploration d’un sujet social/environnemental;  l’ensemble des modalités de voyage socialement et écologiquement justes : équitables, décoloniales, démocratiques, peu carbonées, inclusives, respectueuses du vivant. Celles qui sont en mesure de définir d’autres rapports au monde.

Reprenons l’exemple de Florence, ville vitrifiée par le surtourisme. Siméon est allé dans le cadre de la réalisation de sa web-série « Voix de traverses » interviewer un groupe qui promeut d’autres façons de découvrir la ville. Même s’il a par moment été un touriste, le co-fondateur d’On The Green Road a pu parcourir Florence en voyant « complètement autre chose », des parties de la ville que personne ne découvre, des zones underground où l’on peut rencontrer des locaux. Il raconte avec amusement comment il s’est retrouvé dans un squat où l’on donnait des cours de salsa et dans d’autres lieux alternatifs, plus déconnectés des réalités marchandes. Des lieux qu’il qualifie de « vivants », où des personnes locales peuvent être curieuses de ce qu’un français peut apporter. La richesse du voyage réside alors dans les interactions créées, les échanges plutôt que dans la consommation de la ville. Siméon montre ainsi qu’il est tout à fait possible de se détacher du tourisme de masse et que c’est plus enviable à la fois pour les personnes qui voyagent que pour les personnes qui accueillent.

« Moi je donne des formations là-dessus : je fais souvent une cible où j’indique ce qui caractérise le touriste, ce qui caractérise le voyageur et ce qui caractérise le voyageur à impact positif.

Et personne n’a envie d’être le touriste ! »

Siméon nous rappelle en fin d’épisode que l’on n’a pas besoin de partir loin pour être dépaysé. Il existe déjà une variété assez incroyable de paysages en France et il est tout à fait possible de redécouvrir notre pays en privilégiant d’autres rapports au voyage. Le pays est plutôt bien quadrillé par le ferroviaire même si le secteur a besoin d’être largement plus développé (relance de certaines lignes comme celle reliant Lyon et Bordeaux, des trains de nuit, etc.) et son offre rendue plus accessible. Il existe de nombreuses voies cyclables (la ViaRhôna, la Loire à Vélo, la Vélodyssée, etc.) qui permettent de voyager à vélo d’un bout à l’autre de la France et d’explorer vraiment les territoires. Il existe de très nombreux chemins de randonnée, bien balisés. Comme dans l’émission « Nus et culottés », il ne tient qu’à nous de découvrir les joies du stop et d’aller dormir chez l’habitant. Toutes ces façons de voyager favorisent la rencontre et nombre d’entre elles sont accessibles financièrement, que ce soit pour quelques jours ou pour plusieurs mois !

Carte d'un voyage peu carboné - à adapter à sa réalité !

La carte du Voyage à Impact Positif, co-développée par Siméon et On The Green Road

La carte du Voyage à Impact Positif est un outil co-développé par Siméon pour se questionner sur le sens de nos voyages et surtout sur le périmètre géographique que l’on peut parcourir pour avoir un impact faible sur le vivant en fonction du temps qu’on peut consacrer à notre voyage. Si on a un week-end devant nous, la carte nous invite à redécouvrir notre région. Si on a une semaine, on peut se permettre d’aller dans le pays voisin. Si on a plusieurs semaines, ce sont les portes de l’Europe qui s’ouvrent à nous ! Si on a plusieurs mois, alors il sera possible de découvrir un autre continent (avec ou sans l’avion).

La carte boucle notre réflexion en revenant sur une proposition proche de celles soulevées par Jancovici, Ruffin et Batho : limiter l’usage de l’avion à quelques grands voyages initiatiques dont les souvenirs et les apprentissages seront porteurs pour le reste de nos vies !!

Anthony CHAMBE

Anthony CHAMBE

Animateur du podcast "De Vives Voies"

Pendant 4 ans,  j’ai accompagné des dizaines de projets de voyage engagé avec On The Green Road.

Je te les fais découvrir dans ce podcast !

« De Vives Voies » questionne le sens du voyage et définit ses existences désirables dans un monde socialement juste et écolo.

Suis mes aventures et les coulisses de chaque épisode sur Instagram et sur Linkedin.