La Colombie, un nouvel eldorado ?
La Colombie est une destination en pleine croissance. Depuis 2019, les arrivées sur le territoire sont en nette augmentation (+35%) , atteignant un record historique en 2023 (5.5 millions) . C’est l’une des nouvelles destinations phares de l’industrie touristique à l’international.
Une forte croissance qui n’est pas due au hasard. Depuis le début des années 2000, les gouvernements colombiens ont fait de ce secteur l’une des pierres angulaires du développement du pays . Sécurisation des routes menant aux lieux touristiques ; investissements dans des zones stratégiques comme la côte caribéenne ou des villes attractives comme Medellin, etc.
Le développement du tourisme n’a pas seulement un objectif économique. Il est aussi un outil pour assurer la paix dans un pays marqué par plus de 50 ans de conflit armé. En 2016, des accords de paix sont signés entre le mouvement de guérilla des FARC et l’Etat.
Les autorités souhaitent redorer l’image du pays, « considéré depuis des décennies comme dangereux et inaccessible », façonnant les imaginaires qui l’entourent grâce à des campagnes de communication valorisées à l’international.
La Colombie est une terre qui continue cependant à susciter les fantasmes, alimentant clichés, stéréotypes et dérives sur place.
Afin de mieux comprendre ses réalités, je suis allé interroger dans le cadre du podcast « De Vives Voies », deux personnes qui se sont immergées dans le pays pendant 6 mois. C’est à travers leur regard et leurs expériences que je découvre le tableau nuancé et complexe d’un territoire en pleine mutation.
Explorations d’un territoire aux multiples visages
Geoffrey et Margot ont fait le choix d’explorer la Colombie en solo, à sac à dos.
Margot a réalisé un échange universitaire à Medellín. Elle profite de son temps libre pour découvrir le pays. Ses expéditions font écho à celles vécues par d’autres femmes françaises en Colombie, qu’elle décrit dans un mémoire universitaire. Ce dernier questionne les réalités et l’impact des inégalités de genre sur leurs expériences de voyage.
Avec ce mémoire, Margot souhaite déconstruire les idées reçues portées sur la Colombie, et sur les dangers rencontrés par les femmes en voyage.
Désormais étudiante à Paris, je profite d’un de ses passages à Lyon pour l’interviewer. Je recueille son témoignage à la Maison des Étudiants, lieu que nous connaissons tous les deux.
L’ouverture touristique du pays, Margot l’a clairement perçue. Les personnes qu’elle rencontre lui décrivent les transformations opérées en quelques années. Par exemple, là où elle vit, à Medellín. La ville est connue pour avoir été le berceau du plus grand réseau de narcotrafiquants au monde, opérant dès les années 70, et démantelé en 1993 lors de la mort de Pablo Escobar. L’emblème de ce renouveau est le quartier de la Comuna 13. Dans le passé, un quartier malfamé marqué par le conflit armé opposant FARC, paramilitaires, gangs et force publique, et donc le théâtre de multiples violences ; aujourd’hui, le quartier le plus touristique de la ville, connu pour ses fresques murales et autres graffitis. Margot mentionne le développement du métro et des téléphériques. En créant des passerelles entre ce quartier perché sur une colline et le centre-ville, ils permettent un meilleur accès à l’emploi pour les populations et un meilleur accès au quartier pour les touristes de passage. Les conditions de vie semblent s’être améliorées, même si la pauvreté et l’insécurité continuent à être des réalités de ce quartier comme de la ville, dès lors qu’on sort des rues très visitées.
Le quartier de la Comuna 13
Quand Margot décrit Medellín, elle évoque une ville en effervescence, où la musique est omniprésente. Ses rencontres la nourrissent beaucoup. Elle fait la connaissance de personnes locales qu’elle décrit comme étant “très sociables, extraverties, bienveillantes, curieuses”, ayant à cœur d’échanger, partager leur culture, et de véhiculer une image positive de leur pays.
Margot est partie découvrir le territoire à différentes reprises. Elle est notamment passée par Carthagène, ville caribéenne classée au patrimoine de l’UNESCO, et un des sites les plus touristiques de Colombie. Elle décrit un centre-ville lisse, propre et sécurisé où tout est fait pour les touristes, et où l’on retrouve nombre de magasins de marques occidentales.
Margot compare Carthagène avec une ville de la côte pacifique, Juanchaco. Une destination hors des sentiers battus que des personnes locales lui avaient conseillés et qu’elle a beaucoup appréciée. Elle est marquée par un contraste saisissant : les plages paradisiaques et propres de l’Atlantique laissent place à des plages jonchées de déchets. « Vu que ce n’est pas encore très touristique, ils ne font pas ce nettoyage. » Le système de recyclage en Colombie étant peu développé, les déchets sont brûlés ou enterrés.
A San Augustin, elle est accompagnée par un guide colombien pour un trek à destination de la lagune Magdalena. Celui-ci lui parle des réalités de cette petite ville rurale où les enfants ne vont pas forcément à l’université, marchent une heure pour aller à l’école, n’ont pas accès à l’eau potable. En dehors des centres touristiques, la pauvreté est encore très présente.
Margot se rend aussi à Cali ou encore dans la Sierra Nevada Santa Marta pour une semaine en territoire indigène Arhuacos. Une communauté également rencontrée par un certain Geoffrey…
Geoffrey m’accueille le temps d’un après-midi sur son terrain situé près d’un petit village drômois. On se pose à l’ombre du platane qui jouxte sa tiny house, petite maison nomade faite en bois, qu’il a entièrement construite de ses mains. C’est ici qu’il me partage le récit bouleversant de ses immersions.
Geoffrey a 25 ans quand tout s’effondre autour de lui. Une seule issue semble possible : écouter la petite voix qu’il étouffe depuis trop longtemps. Celle qui l’invite à « se frotter au monde et à l’inconnu ». Le voici embarqué en quelques semaines pour la Colombie.
Geoffrey arrive via une petite ONG locale à Las Colonias, quartier défavorisé comme la Colombie en compte des milliers. Un quartier insalubre, illégal, formé par les déplacés du pays qui fuyaient les violences politiques, et qui n’ont pas trouvé de travail en ville. Un quartier dans lequel il n’y a ni institutions ni services publics : pas de police, pas d’école, pas d’égouts, pas d’électricité.
Geoffrey demande comment il peut aider, ce qu’il faut faire. César, de l’ONG, lui rétorque : « Les Français, à chaque fois qu’ils arrivent, ils veulent tout de suite faire un truc. Vis juste avec les gens et tu verras ce qu’il faudra faire». Le drômois troque son statut de volontaire pour celui d’habitant du quartier. Las Colonias devient son camp de base. Les personnes qui y vivent, sa famille.
En Colombie, Geoffrey enchaîne les immersions dans des lieux en marge de la société, découvrant les dures réalités des personnes qui les habitent : la misère, la rudesse du climat et des conditions d’existence. Il s’engouffre dans un torrent continu qui le transforme sans l’épargner.
Une quête initiatique qui le mène dans le désert de la Tatacoa, au contact d’un guérisseur traditionnel aux portes de l’Amazonie, ou encore auprès d’indigènes Arhuacos dans le nord du pays. Il réalise pendant 2 mois un travail spirituel avec les « mamos », sages de la communauté « qui lisent en lui comme dans un livre ouvert ».
Geoffrey et Duavico, « mamo » Arhuaco, dans la Sierra Nevada Santa Marta
Par-delà les privilèges, une rencontre du réel
Les témoignages recueillis par Margot auprès de françaises en voyage vont dans un sens : non pas celui de l’insécurité permanente, plutôt celui de l’émancipation. Margot me confie qu’elle s’est rarement sentie en danger. Les risques systémiques qui touchent les femmes ne diffèrent pas de ceux qu’elle peut rencontrer en France ou ailleurs. Pour prévenir de ces risques, elle et ses compatriotes ont délaissé le plus possible les circuits du tourisme de masse pour s’imprégner des réalités locales : rencontrer les personnes, se renseigner auprès d’elles, échanger en espagnol, ne pas porter de signes de richesse, etc.
Margot a conscience des privilèges (temps, argent, passeport, origine, etc.) dont elle disposait. Elle a croisé une seule colombienne en voyage. Selon elle, cela s’explique par une diversité de facteurs. Une chose est sûre : les esprits semblent encore profondément marqués par les conflits armés, et l’insécurité qui en résulte.
Geoffrey s’interroge aussi sur sa présence en Colombie, celle d’une personne privilégiée qui vit au contact de personnes qui connaissent la misère dans leur quotidien. Ces questionnements se mêlent pourtant à une véritable quête de sens, et une expérience qui a changé pour toujours sa manière de voir le monde et de l’habiter.
Des témoignages de vie en Colombie qui invitent à faire de la lenteur du voyage un outil pour rencontrer avec humilité, tolérance et conscience la diversité d’un pays, afin de délaisser les fantasmes au profit du réel.
[1] « Tourism doing business – Investment guidelines for Colombia », UN tourism
[2] « Mexique et Colombie, les 2 destinations touristiques les plus porteuses en Amérique Latine », Team France export, 14/02/2024
[3] « Les défis du tourisme face à la construction de la paix en Colombie », Marie-Laure Guilland et Patrick Naef, Via, 15 | 2019, Publié le 22 novembre 2019
Anthony CHAMBE
Animateur du podcast "De Vives Voies"
Je te les fais découvrir dans ce podcast !
« De Vives Voies » questionne le sens du voyage et définit ses existences désirables dans un monde socialement juste et écolo.
Suis mes aventures et les coulisses de chaque épisode sur Instagram et sur Linkedin.