Alors que notre fils atteignait juste ses 14 mois, nous nous sommes mis au défi de partir passer nos vacances sans voiture. Sans voiture, ou presque : nous nous sommes autorisés à autostopper, voire à effectuer une location pour le dernier kilomètre. Notre pari : à vacance moins carbonée, bébé plus heureux et parents fiers de rester des aventuriers ! Alors certes, ce n’est pas toujours facile, mais les vacances ne sont-elles pas cet espace d’inconnu, d’expérimentation, de découvertes ?
Au bord d’un large rond-point, je tends le pouce. A ma droite, mon fils, endormi dans sa poussette. Ma compagne présente le panneau « Lyon » aux automobilistes, qui parfois nous gratifient d’un salut, d’un sourire ou d’un signe montrant qu’ils ne vont pas dans cette direction. Il fait chaud, très chaud (heureusement un arbre prodigue un coin d’ombre, réservé au bout de chou endormi), et le spot n’est pas idéal, mais c’est le jeu ! L’attente se compte maintenant en heures… Enfin une voiture s’arrête !
Direction la maison, avec un ancien légionnaire à la conversation riche et complexe, aux petits soins avec notre fils qui se réveille quand on le glisse dans son siège auto.
C’est le dernier trajet de vacances peu communes quand on a un jeune enfant. Depuis 3 semaines, nous vadrouillons entre Allemagne, France et Espagne pour découvrir, ou voir la famille, avec une particularité : nous n’avons jamais voulu que parentalité rime avec l’achat d’une voiture. C’est le circuit classique, l’évidence, tant cela simplifie tout déplacement. Hop, un départ, et on embarque tout dans la voiture, déjà équipée de son siège auto, direction l’autoroute des vacances.
Pourtant, bien qu’ayant le permis depuis 14 ans, je n’ai jamais voulu m’encombrer d’une voiture, afin de ne pas alourdir mon empreinte carbone avant tout, mais aussi pour des raisons économiques, des tracasseries mécaniques et parce que pour moi, la vraie liberté consiste à choisir à tout moment son moyen de transport, sans s’embarrasser d’un ustensile si lourd et qu’il faudrait emmener partout ! Je vis en ville, proche de transports en commun, et j’aime la poésie du train, le rythme du vélo, et l’aventure de l’autostop. A la naissance de mon fils, je me suis interrogé sur ces choix, tant les normes étaient différentes (l’étaient-elles à raison ?), mais j’ai décidé de continuer à explorer mes voies de traverse.
Alors pour partir en vacances, il nous a fallu ruser, jongler entre les modes de transport, tester de multiples combinaisons avant de trouver la bonne… Son premier été, nous l’avions emmené en portage sur un tandem, pour quelques centaines de kilomètres. Il a maintenant grandi et marche, et nous voulions aller explorer Berlin, située à plus de 1000km, au nord-est de l’Allemagne.
Direction le premier site comparateur de vol, pour trouver le moins cher et le plus rapide ?! Ah non, en aucun cas ! Quand on vit un été sur-caniculaire à cause d’un dérèglement climatique, difficile de prendre un avion comme ça, en simple agrément, pour le plaisir. Connaissant toutes ces incidences cachées, ainsi que le temps de trajet et le prix très souvent nettement majorés (temps d’embarquement / débarquement, surtaxe sur tout ce qui dépasse sur les vols low-cost), nous nous sommes tournés sans hésiter vers le train… Et plus exactement, le site de la Deutsche Bahn, réputé très fiable pour les trajets européens. Bien vite, nous avons dégoté des billets abordables nous permettant de faire le trajet dans la journée. 10h de trajet certes, mais Berlin n’est pas à côté ! Et le train permet d’observer les paysages, et de se dégourdir les jambes tout au long du trajet.
Nous embarquons donc à bord d’un TGV matinal. Le trajet n’est pas de tout repos, rythmé par la folle énergie de notre fils, ses coups de fatigue, ses temps calmes où il scrute par la vitre, ses pleurs, ses promenades dans les allées longilignes, ses interactions avec des inconnus, …. A Baden Baden, rapide correspondance ; nous grimpons dans un ICE (pas un pain de glace, hein, c’est le petit nom des TGV allemands). Première surprise : nous avons partout autour de nous des enfants et des familles. Après observation, nous sommes dans un wagon réservé aux famille, à deux pas de la voiture bar et du carré réservé aux contrôleurs. L’un deux tend d’ailleurs à notre fil un ticket spécial enfant à notre fils, et le poinçonne : il pourrait même avoir droit avec ceci à une petite locomotive amusante… en plastique (après hésitation, nous déclinons cet énième jouet-cadeau en plastique pétrolifique. Il n’empêche : il y a de l’idée !). Notre petit Nour interagit avec les autres enfants, observe, joue. Des jouets circulent. Il scrute avec curiosité chaque geste des plus grands, va toucher du bout du doigt les plus petits,… Nous discutons avec d’autres parents, en anglais ou en allemand (pour ma compagne qui le parle, et reprend avec plaisir des bouts de phrase qu’elle assemble ensemble). Et surtout, nous nous sentons plus à l’aise. Si d’aventure notre petit Nour se met à pleurer, pas de panique, ni de regards agacés : nous sommes entourés par des parents qui ont l’habitude, et comprennent. Seul bémol infime de ce rassemblement de familles : quand un bébé crie, il peut en réveiller d’autres déjà endormis… Un espace fermé a aussi été aménagé, avec siège et jeux, permettant de laisser les enfants se défouler et marcher sans être tenu par la main.
Arrivés à Berlin, nous rejoignons notre logement. Nous l’avons réservé sur Airbnb certes, mais prenant garde à ne regarder que les offres proposées par des particuliers, ne faisant pas de la location multiple : Ainsi, nous ne favorisons pas la spéculation immobilière, et passons de belles soirées dans un appartement qui a une âme, une personnalité, une vraie originalité (n’est-ce pas pour cela que l’on voyage ?). C’est d’ailleurs ce que nous venons chercher dans cette ville. Riche en monuments retraçant l’histoire ancienne (cathédrale) ou plus récente (mur de Berlin certes, mais aussi l’Église du souvenir à la riche histoire et l’architecture parlante), elle est aussi parsemée de lieux vivants, tel le marché turc aux échoppes colorées et multiculturelles, au fil duquel on pourrait passer des heures sans se lasser, jonglant d’une langue à une autre au bord de la Spree. Il y a aussi des tiers-lieux, tels le RAW Tempel ou la ufaFabrik (sur lequel nous tombons par hasard), qui sont des images vivantes des évolutions berlinoises des dernières décennies, ayant participé à ses dynamiques et ses innovations.
J’ai aussi plaisir à retrouver des lieux d’anciennes errances dans cette ville : il y a plus de 10 ans, voyageant en autostop avec deux amis entre la Suisse et la Hollande, nous avions fait étape à Berlin, un peu par hasard, pour retrouver sur un coup de tête une connaissance. Nous étions arrivés en soirée. Il n’y avait pas assez de place pour tous nous loger. Nous avions planté la tente au milieu d’une place, au pied d’une église, à l’abri d’un buisson. Était-ce notre discrétion ou la bienveillance des voisins ? J’ai le souvenir fort de m’être réveillé à 11h du matin, au rythme des bruits de pas pressés sur le bitume voisin. Nous nous étions réveillés comme des fleurs au cœur d’une capitale, repliant bien vite la tente pour ne pas abuser. En famille, je reviens sur ce lieu dont les souvenirs marquants m’avaient déformé l’image. Les tramways continuent certes de circuler sur cette place, mais le lieu est plus petit que dans ma mémoire. Dans cet ex-quartier de Berlin Est, les immeubles sont plus coquets, les rues avoisinantes commerçantes. Et cherchant un espace récréatif pour le petit Nour qui n’espère que se dégourdir les jambes, nous tombons sur un grand parc, situé à deux pas, et nettement plus indiqué pour un bivouac ! Que c’est drôle de se retrouver ici, et de prendre le recul sur nous il y a 10 ans, et cette propension que nous avions à camper n’importe où, surtout dans les lieux les plus improbables !
Pour évoluer entre ces lieux, nous profitons d’une possibilité à laquelle au départ nous avons eu du mal à croire : un ticket de métro à 9€… pour tout le mois. Ce n’est que bien plus tard que nous avons appris qu’il s’agit d’une mesure du gouvernement pour favoriser l’usage de transports en commun en temps de crise énergétique (et à plus grande raison climatique !) à l’échelle de l’Allemagne. Une vraie chance pour nous qui sommes de passage, sans voiture, et pour toutes celles et ceux qui ont ainsi pu voyager collectivement. Avec notre jeune fils, pas question cependant de passer tout notre temps à courir la ville : nous profitons de la fraicheur du quartier très arboré dans lequel nous avons élu domicile, Tempelhof. Une bouffée d’air frais en cet été caniculaire. Il y a bien sûr la latitude, mais aussi les arbres, nombreux, dans les rues et les jardin. Des rues désimperméabilisées, aux pavés variés et irréguliers. Une végétation en sort, désordonnée. Sale, chaotique ? Non, juste un peu de vie, que l’on retrouve dans les parcs, avec de larges aires de jeu pour enfants, avec du sable (qui pour d’obscures raisons fanatico-hygiénistes, a presque disparu de nos terrains français), des jeux de pirate avec de vrais troncs noueux auxquels se sont adapté les concepteurs (et pas des préfabriqués lisses copié-collés) : on sent la forte attention portée ici aux enfants, et en jeunes parents, on apprécie cette douceur, espérant la voir faire des émules !
Pour voyager ainsi en train, nous avons aussi du renoncer à la malle à jouets, et ça nous ouvre plus à ce que nous trouvons sur place. Nous sommes partis avec seulement 4-5 petits jouets et un livre musical. Tout devient alors un jeu : une pomme de pain, un gland, un fleur ou un bâton. Et une fois mis en bouche, point de perturbateurs endocriniens ou autres micro-particules, mais des bactéries à foison, qui iront enrichir une flore intestinale qui en a grand besoin à cet age ! Cela ouvre aussi les yeux pour les grands enfants que nous sommes. Hop, un charriot trouvé, et en quelques centaines de mètres tout le monde s’amuse !
Sur le trajet de retour vers la France, nous nous jurons de dorénavant faire des trajets plus courts, de mieux découper nos voyages par des étapes : malgré les belles rencontres avec d’autres parents en wagon-bar, les incessants aller-retours, les siestes, les jolis paysages, l’espace-enfant, le trajet est épuisant.
A peine une nuit d’étape à Lyon, et nous sommes repartis. Direction : le sud. Correspondance à Valence… Hé mince, on a oublié le siège auto ! Nous qui comptions louer une voiture pour quelques jours, puis faire du stop… impossible de rentrer à Lyon, d’autant que notre prochain train est déjà à quai…
Que faire ?
Vous connaitrez la suite de cette aventure au prochain épisode …
Siméon Baldit de Barral, co-fondateur de On The Green Road