© Munier
La remarquable réalisatrice Marie Amiguet, le cueilleur d’image Vincent Munier et le globe-trotteur Sylvain Tesson nous dévoilent la splendeur d’une nature en perdition.
Ils nous proposent une œuvre que l’on peut aujourd’hui découvrir par le prisme de trois visions : le documentaire, le récit et le recueil de photographies. Ces témoignages nous permettent d’accéder à une dimension précieuse de la vie, dont l’existence est fragile, rare et menacée.
Célébrons le Beau !
Dans ce film récompensé par les Césars, Marie Amiguet, la coréalisatrice, et Jean Michel-Bertrand, cinéaste animalier, sont les acteurs de l’ombre, caméramans et porteurs d’histoires, pour témoigner d’un monde fragile et vacillant. Munier, coréalisateur, et Tesson, l’intrépide invité, nous engagent à les suivre à pas de loup. Ils nous annoncent d’emblée le sujet de leur quête : la panthère des neiges. Eh non… elle n’a pas totalement disparu ! La légende raconte qu’elle se terre loin des paradis perdus, à l’abri des griffes de l’homme. Il n’en reste plus que quelques milliers dans les montagnes les plus reculées et les plus inaccessibles d’Asie Centrale. Cette épopée à la rencontre des bêtes nous amène insensiblement à nous interroger sur notre rapport à la nature et aux merveilles qu’elle manifeste. En toute logique, si l’on considère que ce qui est beau est précieux, alors nous nous évertuerons à le préserver. C’est en tout cas le pari que prend Munier quand il s’adresse aux journalistes : « J’ai choisi de célébrer la beauté plutôt que de creuser le désespoir ». Et il est vrai qu’en assistant à la projection de son film, en découvrant la splendeur de ses images, en profitant du calme que dégagent les vastes plateaux tibétains, on peut ressentir une paix profonde… chose que l’on a rarement l’occasion de vivre dans une salle de cinéma.
La contemplation des paysages apparaît comme une source de joie simple, offerte à l’homme de passage.
À chaque seconde nous espérons voir surgir la bête. Pourtant, elle nous échappe. On la traque, on la quête, on l’espère. Elle nous hante. Peut-être nous observe-t-elle ? Difficile à savoir tant elle fait corps avec la pierre. Elle se fond dans la neige immaculée et s’assimile à la roche brousse. Son splendide pelage tacheté est une tenue de camouflage d’élite. Au cours d’une expédition plus ancienne, Munier croyait avoir capté un faucon crécerelle. Il s’aperçoit six mois plus tard en développant son cliché qu’elle était tapie en face de lui ! Ses deux yeux noirs pointés droit sur son objectif.
Partir en quête de la panthère des neiges exige d’avoir foi en la promesse de l’invisible.
Promesse de l’invisible
Nous sommes les spectateurs privilégiés de leur lente ascension. L’attente, la marche, la lecture des traces et leurs conversations murmurées. Le film, intimiste et délicat, fait appel à nos sens. La bande originale de Nick Cave et Warren Ellis nous offre de belles envolées. Les images sont d’une poésie incroyable. Nous sommes embarqués à bord d’un vaisseau d’élite sophistiqué, sensible et magique à la fois, qui nous conduit, mais sans nous déplacer, dans des montagnes froides et hostiles ; presque inhabitées. Nos imaginaires profanes s’ouvrent peu à peu à des beautés lointaines et sans âge. Nous quittons le vacarme et la frénésie de nos sociétés pour le silence, l’apparemment vide et la rocaille. Rien d’attirant ou de séduisant pour les citoyens modernes et connectés que nous sommes. Les loups et les renards, les rongeurs des steppes, les gypaètes barbus, les yacks et les chirous… toutes ces bêtes magnifiques nous sont offertes sans artifice et nous apparaissent au fur et à mesure que nos yeux s’ouvrent. Grasse récompense pour notre maigre patience.
Leur passage dans le théâtre de la vie peut sembler romanesque. Il est tragique parce que les animaux tuent pour survivre, « mais ils le font par nécessité », précise Munier. Burlesque parfois : on voit un corbeau qui s’attaque à une panthère ! Émouvant, tant ils sont emplis de tendresse. Et stupéfiant par la vérité et la noblesse qu’ils incarnent. Dans tous les cas on s’aperçoit qu’ils sont parfaitement adaptés à la vie austère des alpages.
Et un jour, la panthère, arrachée à la terre ou descendue du ciel, apparaît, somptueuse, dans sa robe d’impératrice, régnant en maître sur son territoire. Sa vision sème la confusion. Est-ce un rêve ou un mirage ? : « Mon œil a regardé une panthère avant que mon cerveau comprenne que je la voyais », nous dit Tesson.
Le regard que nous posons sur ces animaux, si tant est que nous soyons capables de les voir, nous ramène aux vertus immémoriales que nous avons abandonnées.
Sauverons-nous la Bête … ?
© Munier
Avez-vous déjà lu ou vu : la Belle et la Bête ? Ce conte nous offre une merveilleuse histoire d’amour et nous met en garde contre nos regards trop pressés de juger les apparences. La Bête immonde est habitée par un noble et tendre prince. Parce que le cœur de la Belle est pur, elle pourra d’un seul baiser le délivrer de son malheur. L’amour sauve le monde de la laideur. Faisons que notre regard sur la nature ne soit pas comme celui des sœurs de la Belle, c’est-à-dire plein de haine, de cauchemar et de mépris.
La quête de la panthère blanche, c’est l’attente d’une apparition sacrée. Elle révèle nos imperfections, nos maladresses et nous renvoie à la vacuité des vies que nous menons. Voir cette bête, splendide de naturel et souveraine sur son territoire vous emplit de superbes choses… mais savoir qu’elle est en train de disparaître est un véritable électrochoc. Nous l’avons poussée à l’exil. Force est de constater que les derniers refuges des bêtes sont des lieux préservés par une nature hostile à l’homme. La vie telle qu’elle apparut sur terre se cache et se retranche. Elle s’éteint au fur et à mesure que l’homme se répand. Sauverons-nous les bêtes comme la Belle a sauvé son Prince ?
Le Beau nous est offert, partout autour de nous, mais les hommes « modernes » que nous sommes ont décidé de ne plus chercher à s’en délecter. Nous passons nos vies dans l’indifférence et l’ignorance des choses qui sont sous nos yeux. Nous nous approprions des territoires pour cultiver la terre et bâtir nos empires dans le total mépris des nécessités de la nature et de ses lois.
Munier nous prête ses yeux de poète pour que nous puissions re-découvrir la nature à travers son cœur.
L’affût…
© Munier
Dans notre société de la consommation et du haut débit, Munier impose son film et nous presse de nous arrêter. Il nous dit : « cachez-vous dans les rochers et attendez ! ».
© Munier
=Je vous invite à parcourir d’urgence l’album de Vincent Munier, Minéral Animal, édité chez Kobalann : http://www.editions.kobalann.com/kobalann_fr.html
Pour en savoir plus sur cette incroyable épopée, commandez le récit de Sylvain Tesson, publié chez Gallimard, primé en 2019 par le prix Renaudot.
Et surtout, précipitez-vous dans un cinéma tant qu’il en est encore temps pour voir le film de Marie Amiguet et de Vincent Munier, en salle depuis le 15 décembre 2021.
Et à ceux qui voudraient pratiquer l’affût sans partir dans les contrées lointaines du Tibet, c’est possible ! Vous le pouvez très simplement en sortant en bas de chez vous, en ouvrant grands vos yeux et votre cœur. Il suffit de s’asseoir sous un platane, un cèdre, un vieux noyer ou un tremble du bord de Rhône et de laisser palpiter en vous la nature. L’Affût est un engagement de l’âme à pister, attendre et espérer l’apparition du Beau.
Florian Chalvet, Bénévole chez On The Green Road