Alban est géomaticien. Derrière ce drôle de mot-valise se cache un passionné des mappemondes qui porte une double casquette : géographe et informaticien. Aujourd’hui, avec Nomad Maps, il sillonne le globe avec son vélo pour promouvoir la cartographie collaborative. Un outil méconnu et pourtant plein de ressources pour les citoyens !
Récit d’une rencontre, par Julie C. pour On The Green Road.

La cartographie est un sujet bien spécifique. Qu’est-ce qui t’a mené à cette thématique ?

Il y a cinq ans, en rentrant d’un voyage en Amérique latine, je me suis intéressé au sujet de la transition écologique et ai décidé de repartir, cette fois-ci avec l’idée de parler d’une thématique environnementale à travers des initiatives. J’ai fait un tour de Cuba à vélo « pour m’entraîner » : rencontrer des acteurs du changement, les interviewer, faire de petits reportages. Au final, au bout d’un mois et demi, j’avais la sensation d’avoir pris des informations sans avoir rien apporté en retour. Je voulais plus d’échange.
De plus, si la thématique écologique m’intéressait, ce n’était pas le domaine où je pouvais être le plus pertinent. C’est lors d’une de mes missions professionnelles aux Burkina Faso, qui consistait à utiliser la cartographie collaborative avec OpenStreetMap, que j’ai enfin trouvé mon sujet. Je suis géographe-cartographe, j’aime le vélo : je vais donc rencontrer les acteurs locaux d’une communauté, connaître leurs projets et agir sur place en cartographiant ! Je me suis ménagé six mois de pause dans mon travail et suis parti en Amérique du Sud.

En quoi ce sujet t’a-t-il paru crucial pour la vie locale et en lien avec le développement durable ?

Historiquement, et encore aujourd’hui, la cartographie appartient soit à l’administration publique (l’IGN en France), soit aux entreprises (comme GoogleMaps, mais aussi les réseaux d’eau ou de téléphonie). Ces données sont difficilement accessibles pour les populations, les services municipaux ou les petites entreprises, ou le sont moyennant finance. Avec les plateformes libres et collaboratives utilisant la base de données OpenStreetMap, et l’accès généralisé aux smartphones, des applications comme Maps.Me rendent publiques ces informations. Celles-ci peuvent servir à développer l’entrepreneuriat local, à faciliter le travail des ONG, à gérer les infrastructures et les actions publiques dans des métropoles où on manque de géographes-cartographes par rapport au nombre d’habitants, etc. Et comme les données sont recensées par les habitants eux-mêmes, elles répondent exactement à leurs besoins !
Le contributeur peut être n’importe qui ; et c’est lui qui détermine l’impact de son apport : économique ou public, mais aussi culturel ou écologique ! D’où l’importance de la dimension collaborative.

” Maintenant que le le citoyen aussi peut faire la carte, celle-ci lui donne un pouvoir d’action, une visibilité supplémentaire. J’emploie souvent le terme de carto-empowerment.”

OPENSTREETMAP, C’EST QUOI ?

C’est une plateforme de crowdsourcing dédiée à la cartographie, qui fonctionne sur le même modèle que Wikipédia. C’est un véritable écosystème, avec des bases de données. Certains outils comme Umap permettent même de créer une cartographie interactive. Il existe aussi des communautés locales, comme OpenStreetMap Lyon par exemple, qui se servent de ces outils pour alimenter la vie de leur territoire.

Quel rôle un voyageur qui voudrait participer peut-il avoir dans cette aventure ?

J’ai pour objectif de créer une communauté de Nomad Mappers, qui souhaitent partir voyager et cartographier en même temps. Elle a déjà démarré, avec un couple partis eux aussi en Amérique du Sud. Ils pourront contribuer à enrichir les données dans des zones peu documentées, ou lorsqu’ils rencontreront des gens qui souffrent de leur invisibilité.

Comment comptes-tu sensibiliser les non-initiés à ces problématiques ?

Avant le départ de futurs Nomap Mappers, nous nous rencontrons pour nous mettre d’accord sur la philosophie, la finalité du projet. Je les initie également aux outils.
Un de mes objectifs est de monter des ateliers et des formations pour donner à voir les possibilités de ces outils collaboratifs, qui ne nécessitent « qu’un smartphone » et une connexion internet. Si je ne peux pas me rendre in situ, beaucoup d’informations sont disponibles sur le net et ils sont très faciles à manipuler.
Je souhaiterais aussi intervenir dans les écoles, et intégrer de la pédagogie auprès des enfants sur ce thème.

Comment prolonger ton action au niveau local ?

Par le biais de conférences, d’ateliers pour faire connaître la démarche. Pour la carte en elle-même, on peut la compléter avec des informations locales : Tiers-Lieux, points de recyclage, centres culturels… Des structures associatives par exemple peuvent ensuite extraire ces données et s’en servir pour communiquer sur leurs actions !
Ce qui m’intéresse vraiment, c’est l’échange. Des liens ont été créés avec des associations et des ONG que j’ai eu la chance de rencontrer des deux côtés de l’Atlantique. Il y a un mois, nous avons organisé un Mapathon entre l’ONG Ecosur en Equateur, qui œuvre pour la reconstruction d’habitats durables et utilise la carte, et l’association chambérienne cartONG. Français et Equatoriens ont cartographié en simultané avec les images aériennes une zone sur laquelle travaillait cette ONG. Des actions locales similaires peuvent être mises en parallèle pour agir ensemble et servir une même cause !

Tes projets à venir ?

Je suis actuellement sur  le montage du documentaire de mon expédition de 6 mois à vélo à travers les Andes que j’ai  effectuée en 2018. Au printemps, je vais repartir pédaler dans le Massif Central, puis sur les routes françaises et pays limitrophes pour connaître ceux qui contribuent dans nos pays à cette thématique. Il est nécessaire de bien connaître nos propres pratiques pour pouvoir en parler et proposer des échanges. On peut agir à une grande quantité d’échelles.
Deux nouveaux Mapathons auront bientôt lieu à Bordeaux et à Pau sur des zones où je suis passé pendant mon voyage.
Aujourd’hui, je sens une possibilité – voire un besoin – de me consacrer à plein temps à ce projet. Je cherche les moyens de pouvoir vivre entièrement de cette activité car elle a du sens pour moi, et c’est là que je me sens le plus pertinent pour agir. Rendez-vous dans deux ans pour voir si j’aurai réussi à transformer l’essai !
Pour ça, mon expérience de voyageur m’a beaucoup apporté : tu prends un virage, ce qui t’attend de l’autre côté est toujours différent de ce que tu imaginais !